Chaque été aux Antilles, du 1er juin au 1er novembre, c’est la saison des cyclones. Les mois d’août et septembre sont traditionnellement les plus actifs.
Juillet 2020
Pourquoi est-ce nous trouvons plus sage de descendre vers le Sud de la Martinique pendant la saison des cyclones ?
Chaque été nous partons nous abriter à Saint Vincent, aux Grenadines et à Grenade. Deux raisons nous y motivent :
- Le risque cyclonique est plus faible à Grenade qu’en Martinique. En effet, du fait de la force de coriolis, il n’y a pas de cyclone au niveau de l’équateur, et plus on s’approche de ce dernier, plus le risque est faible.
- En cas d’alerte sérieuse, la direction à prendre est connue : le Sud pour s’abriter sur l’île de Trinindad, plus proche de l’équateur et en dehors de la zone de passage des cyclones. Si nous étions en Martinique, il pourrait être difficile de prévoir s’il faut s’enfuir au Nord ou au Sud. La qualité des prévisions des trajectoires de cyclones n’est pas suffisante à ce jour pour le définir.
Avons-nous peur des cyclones ?
Ma réponse est “clairement oui“. Pour ne prendre qu’un exemple, le cyclone IVAN a touché l’île de Grenade en 2004, avec pour intensité une catégorie 3, avec des vents violents à plus 200 km/h et des précipitations très intenses. 90% des maisons ont été endommagées soit 14 000 habitations, et 30% totalement détruites. Les dégâts ont été considérables sur les bâtiments officiels, les chambres d’hôtel, l’agriculture (perte de 80% de la récolte des noix de muscade). 700 personnes ont été blessées par la tempête et 24 sont décédées. 18000 personnes étaient sans abri. Les dégâts ont été estimés à 1,1 milliard de dollars US. Lorsqu’une alerte est annoncée, c’est une priorité pour tous.
Que faut-il faire en cas d’alerte cyclonique à quelques jours ? J’attends, l’alerte me pompe mon énergie…
Personnellement, je m’informe au maximum, je surveille, et… j’attends. Nous constatons la formation de systèmes dépressionnaires au large du Cap Vert, et au fur et à mesure où visualise de mieux en mieux leur évolution. Dans la plupart des cas ils remontent plus au Nord. Parfois ils s’affaiblissent, parfois ils grandissent au fil du temps. Certains facteurs favorisent leur développement (air chaud, température de l’eau, …), d’autres les “cassent” (poche de sable, vent de cisaillement…). Des avions “Hurricane Hunters” sont généralement envoyés par le NOAA en reconnaissance en vol dans les systèmes pour obtenir davantage de données permettant d’affiner les prévisions : chapeau bas à eux !
Pendant cette période d’attente, il n’y a pas grand-chose à faire, et personnellement je me sens toujours vidée d’énergie. Je passe mes journées un peu hébétée, au rythme des nouvelles publications, incapable de profiter de la vie, des enfants, d’activités ou de quoi que ce soit. Heureusement, cela ne dure que quelques jours !
Et si l’alerte se précise ? Mieux vaut pêcher par excès de pessimisme à mon sens.
Dans la vie je suis plutôt d’un naturel optimiste. Mais avec la météo, par prudence, je m’astreins à envisager toujours le pire. C’est désagréable, mais c’est une question de sécurité. En fonction des prévisions d’intensité et de trajectoire, 36h à 24h avant le système, nous pouvons soit :
- rester au mouillage à Grenade, en sécurisant le bateau et en restant à bord pendant l’alerte. Notre bateau est bas sur l’eau (utile si le vent souffle), et notre équipement est prudent : 100 mètres de chaîne de diamètre 12 (gros), en grade 70 (solide), une ancre SPADE (top qualité pour ne pas déraper) de 45 kg (surdimensionnée par rapport à la taille du bateau). Nous risquons généralement de la houle désagréable. Ma crainte principale en cas de tempête trpoicale ou de cyclone catégorie 1 est que des voiliers mouillés devant nous dérapent et viennent s’encastrer sur nous.
- aller nous abriter à la Marina de Port Louis, qui constitue un véritable “trou à cyclone”. Vu la configuration, on ne peut pas avoir de houle sur une tempête tropicale ou un cyclone catégorie 1. Les autres bateaux ne peuvent pas nous déraper dessus, en revanche nous avons un peu de risque de casse, si les paddles de nos voisins s’envolent et nous tombent dessus par exemple. En revanche sur des systèmes météo plus forts, ce serait une bêtise. C’est ce que nous avons fait cette fois-ci : première nuitée au port depuis 3 ans, notre dernière escale était à Carthagène en Espagne.
- descendre pour 24h au mouillage à Trinidad, hors zone de passage des cyclones, après une journée complète de navigation. Nous ne resterions pas plus longtemps (même pas possible de se baigner vu la qualité de l’eau, et une réputation d’insécurité de l’île qui ne nous incite pas à aller la découvrir). Par sécurité, le trajet se fait idéalement en flotille avec d’autres voiliers et en faisant un gros détour car il y a régulièrement des pirates au niveau des puits de pétrole désaffectés sur la route la plus directe. Le niveau de vigilance sur la route est maximum pour ne pas heurter les bateaux-copains non plus, alors même qu’on risque de naviguer feux de nav éteints et AIS émetteur éteint. Pour rajouter au paysage, du fait du Covid c’est actuellement interdit d’aller s’y abriter sauf pour une alerte cyclonique de catégorie 3 ou plus. Bref, avec les prévisions de Gonzalo, à un moment nous avons pris note des voiliers qui envisageaient de s’y rendre si jamais les prévisions s’aggravaient, mais nous étions bien contents que ça ne soit pas nécessaire.
- Laisser le bateau. Si vraiment les prévisions rechangeaient en toute dernière minute et que notre prévision pessimiste ne l’avait pas suffisamment été, il serait toujours temps de laisser le navire se débrouiller seul pour abriter toute la famille à terre. Un bateau est plus sécurisé avec son équipage à bord, qui peut réagir pendant le passage du cyclone, mais on ne meurt pas pour un bateau. Je pense que cette situation ne peut pas se présenter avec notre niveau de “pessimisme”, mais on ne sait jamais.
Alerte cyclonique Gonzalo : le système météo mis K.O. sans même avoir montré le bout de son nez
Comme d’habitude, les prévisions ont fait des yoyos. Le matin de bonnes nouvelles, le soir de mauvaises, et le lendemain on recommence (ou vice versa). L’intensité et la trajectoire ne sont pas prévisibles avec exactitude. Après être arrivés en Marina, les prévisions ont montré que finalement il se dégonflait totalement. A part un peu de pluie et un vent faible, nous n’avons quasiment rien eu. Si nous avions pris en compte les prévisions du vendredi sans les empirer, nous serions restés au mouillage. Aller en marina a ajouté une sécurité supplémentaire, c’était une bonne décision.
Le sens pratique n’est visiblement pas pas à portée de tous, et c’est la collectivité qui en pâtit…
Heureusement que le vent n’a pas soufflé, nous avons pu constater le très faible degré de préparation de certains voiliers au mouillage ou en marina. Ce n’est pas la norme, mais ça n’est malheureusement pas juste un ou deux cas exceptionnels. Etant à bord, certains n’ont pas sécurisé leur annexe, doublé leurs amarres, écarté leur bateau du quai, démonté les parties susceptibles de prendre le vent, accroché ce qui était susceptible de s’envoler… Le sens pratique et le bon sens ne sont pas toujours invités à bord ! Je ne suis pas de la police, mais je ne m’explique pas ces situations, qui peuvent au final s’avérer dangereuse pour eux, pour ceux qui voudraient les aider, et pour leurs voisins qu’ils sont susceptibles d’endommager. Nous émettons parfois quelques suggestions, mais qui sommes-nous pour le faire ? Souvent on nous remercie avec gratitude, et parfois on nous ignore voire on nous insulte, ce qui n’est guère motivant pour continuer à aider la communauté…
L’an dernier notre voilier a failli être défoncer par un ketch en acier de 50 pieds qui dérivait à 3 ou noeuds au mouillage après avoir cassé sa chaîne qui datait de Mathusalem. Le propriétaire a défoncé son bateau (certaines leçons s’apprennent à la dure), mais il aurait clairement pu nous faire couler, nous ou un autre voilier. Cela me met en colère, et ça génère un stress latent. Nous ne sommes malheureusement pas à l’abri du premier imbécile venu qui peut nous endommager notre beau bateau par inadvertence, incompétence ou négligence.
Il me semblerait utile que les marinas prennent en compte l’hétérogénéité des préparatifs et organisent des passages en revue des bateaux 24h avant l’arrivée du système. A Carthagène en Espagne nous avions pu constater avec plaisir la vigilance des marineros avant, pendant et après le passage d’une tempête : bravo à eux !
Nous sommes tranquilles… jusqu’à la prochaine !
Le plus intensif de la saison est devant nous. L’an dernier nous avons vécu deux alertes, ce qui était bien suffisant pour nos nerfs. On verra bien ce que 2020 nous réserve !
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- Mon dernier focus sur notre fonctionnement en école sur le bateau